Le deuil de la miraculée
30 September 2017 | Montréal
Francis, quelle magnifique journée!
Ce n'était définitivement pas normal.
Voilà plus d'une heure que j'attendais Francoise pour déjeuner. On s'était séparés vers 0700, elle promenant le petit chihuahua Willie et moi avec Betty, le Boston-Terrier de notre fils qui marchait plus vite.
De retour à la maison je ne me suis pas inquiété que Françoise n'était pas encore rentrée. En ce beau matin de septembre elle pouvait s'être arrêtée pour jaser avec la voisine mais plus le temps passait moins probable était cette éventualité. Vers 0830, je m'apprête à sortir pour la retrouver quand au même moment on frappe à la porte: c'est la police...
J'ai à peine le temps de passer les pires éventualités par la tête que la policière me rassure: ma femme a eu un malaise et a été amenée à l'hôpital. Une autre escouade allait ramener Willie à la maison et en profiter pour m'amener à l'hôpital. J'ai pu en apprendre plus en chemin sur ce qui s'était passé: à 0655 le 911 a reçu un appel d'aide d'une automobiliste rapportant la présence d'une femme assise sur le gazon accompagnée d'un chihuahua et ne répondant pas aux questions. Les ambulanciers et pompiers sont arrivés en moins de trois minutes et immédiatement diagnostiqué un avc. Ils l'ont donc amené d'urgence à l'Institut Neurologique de Montréal sur l'Avenue des Pins.
Les policiers avaient beau me rassurer que Françoise avait été amenée au meilleur endroit pour se faire traiter, mes pires craintes m'assaillaient. Est-ce que j'allais retrouver ma douce paralysée? dépourvue de parole? Pire, me reconnaîtrait-elle? Dans le silence de l'ascenseur j'ai pris la résolution de ne pas perdre mon temps à angoisser et à prendre les choses au fur et à mesure qu'ils viendront: on sortira la pelle quand il neigera...
A peine arrivé aux soins intensifs une petite dame avec un fort accent italien m'accueille avec le sourire. Elle se présente: Dre Tampieri, chirurgienne. Elle me rassure tout de suite, l'opération sur Francoise vient tout juste de se terminer avec succès et un caillot de cinq millimètres de diamètre a été retiré de son lobe temporal gauche. Elle me montre même fièrement un photo du caillot, comme une sorte de trophée de chasse!
Je crois qu'elle savait quelle allait être ma prochaine question " je ne peux vous garantir qu'elle n'aura pas de séquelles mais dans les circonstances elle a eu la meilleure et la plus rapide intervention possible. Des cas similaires à ceux de votre femme s'en sont sortis sans conséquences mais les tests qui seront faits dans les prochaines heures nous donneront une meilleure idée ".
" Quand pourrais-je la voir ? "
" Elle est en réveil. Venez avec moi "
Quelle bonheur de voir ma belle Françoise pleinement éveillée, avec tous ses moyens, apparemment ... À travers mes larmes je n'avais pas remarqué son air incrédule qui semblait dire " Qu'est-ce qu'on fait ici? " mais surtout qu'elle l'exprimait sans mots. Ma volubile femme allait-elle souffrir d'aphasie?
L'infirmière m'a vite rassuré: une telle confusion était normale si tôt après une anesthésie.
Durant l'heure suivante, Françoise a graduellement retrouvé la parole et sa coordination. Toute la journée les neurologues et physiothérapeutes l'ont soumis à toute une batterie de tests physiques et cognitifs pour finalement conclure qu'il ne semblait pas y avoir eu de séquelles notables. Alleluia!
(N.B. Étant athée, mon choix liturgique n'est pas gratuit puisque les médecins appelaient Françoise leur "miraculée"). Nous sommes convaincus que le miracle se trouve plutôt dans la rapidité et la qualité de l'intervention, que nous n'aurions pas eu si nous n'avions résidé si près de l'Institut.
Françoise a passé les trois jours suivants à l'Hôpital Général de Montréal afin de poursuivre les tests et essayer de déterminer la cause de son acv. C'est suite à ces tests qu'on a découvert chez Françoise un trou au coeur, trou qui est généralement inoffensif chez la plupart des gens mais qui est probablement associé chez elle à la naissance ou au déplacement de son caillot vers le cerveau.
Aujourd'hui, Françoise est en excellente forme et n'a aucune séquelle mais devra subir d'autres tests dans les prochains mois et dorénavant prendre une petite aspirine à chaque jour du reste de sa vie pour éclaircir son sang mais ce n'est pas un cher prix à payer pour rester en santé.
Malheureusement, ce petit tas de fibrine de soixante-dix milligrammes fera échouer notre bateau de quinze tonnes cette saison. Françoise va se concentrer sur la prévention d'un autre acv et j'irai réparer le pont en Janvier (au plus froid de l'hiver, bien sûr!) en me disant que, heureusement, ce n'est que partie remise et que l'année prochaine c'est avec une amirale en parfaite santé qui sera à la barre!